Biographies-Toute vie peut devenir un roman

Biographies-Toute vie peut devenir un roman

Tréhorenteuc mon amour

 

 https://static.blog4ever.com/2010/05/409639/artfichier_409639_4685771_201503243225721.jpg

 

 

        Tréhorenteuc mon amour

 

 

 

 

 

 

 

1

 

 

- La cartomancienne l’avait bien dit quand j’ai tiré le jugement, elle a parlé de rumeurs, de secret dévoilé…Peut-être à cause des trompettes qui figurent sur la carte…

- Je ne vois pas le rapport. Ce n’est qu’une biographe, pas une journaliste d’investigation. Les biographies, c’est confidentiel.

- Pas si confidentiel que ça ! Elle m’a dit qu’elle enregistrait

https://static.blog4ever.com/2010/05/409639/artfichier_409639_4685894_201503240516976.jpg

 tout!.

- Ah  bon ! Elle enregistre ?

- C’est pour les  descendants, pour laisser une trace.

- Les descendants ! Comme si les siens ne connaissaient pas sa vie !

- Il y a plein de choses qu’on aimerait bien raconter mais les enfants n’ont pas le temps d’écouter.

- Moi, je me rappelle que j’aimais pas quand mes parents parlaient de la guerre.

- Pourtant ils n’ont pas eu la vie facile, les parents.

- Oui mais elle, elle était d’une famille de grands propriétaires terriens. Ces gens là n’ont pas dû connaître beaucoup de privations.

- Et ils sont toujours aussi riches ! A sa mort, son fils  héritera d’un beau pactole. A deux, c’est sur que ça serait moins bien…

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Mon père fait quelquefois des remarques bizarres à propos de cette famille. Je vais avec son fils Emmanuel à la pêche cet après-midi. Il va être content d’apprendre que sa mère raconte sa vie à une inconnue qui va en faire un bouquin ! Un cadeau comme ça, c’est pas commun…Faudrait pas que ce soit un cadeau empoisonné…

 

Depuis que cette femme avait déposé sa valise dans une des chambres d’hôtes proposées par le bar de Paimpont, les habitués s’interrogeaient, certains ayant même de mauvaises prémonitions.

Il ne s’agissait pas d’une touriste ordinaire venue se rajeunir à la Fontaine de Jouvence. Non, elle avait demandé confirmation de l’adresse où elle devait se rendre. Elle prétendait  faire un roman de la vie de Mme A.

Tout le monde connaissait Mme A et voici que, soudain, on se demandait si on la connaissait vraiment. Dans une petite ville,  aucune vie n’est complètement étrangère aux autres habitants, et pourtant chacun a ses secrets qui ne doivent pas être dévoilés au risque de causer du tort à d’autres…

Un roman !

 

 

 

 

 

2

https://static.blog4ever.com/2010/05/409639/artfichier_409639_4685880_20150324544392.jpg

 

La biographe referma doucement la porte, essayant de ne pas trop faire tintinnabuler la cloche de l’entrée. Comme toujours, après le premier contact avec la personne qui deviendrait sa nouvelle héroïne, elle était d’humeur rêveuse. Elle évaluait le climat de cette visite, s’en imprégnait et s’apprêtait à se laisser captiver par le récit de cette charmante vieille dame. Son iphone avait tout enregistré. Elle allait réécouter tranquillement avant d’écrire.

La rue du Général de Gaulle n’offrait rien qui puisse rappeler le grand chef d’état. C’était Merlin l’Enchanteur qui y était à l’honneur, représenté en taille réelle par une pancarte de carton devant une boutique de souvenirs.  

Elle avait un peu oublié combien cette ville de Paimpont était au cœur des nombreuses légendes de Brocéliande. Toutes ces histoires merveilleuses lui revenaient en tête tandis que, tranquillement installée dans sa chambre, elle tentait de se concentrer sur son enregistrement. Elle se laissa aller à la rêverie et fut tentée par une promenade autour du lac. Elle contourna le syndicat d’initiative, cherchant la solitude. Les abords du lac n’y étaient pas accueillants. Deux hommes remontaient leur bateau de pêche. Elle crut reconnaître le plus petit comme l’un des clients du bar. Lorsqu’il l’aperçut, il la désigna du menton à son compagnon. Celui-ci lui jeta un regard si insistant et malveillant qu’il la mit très mal à l’aise. Pourquoi tant d’antipathie de la part de cet inconnu ? Rebroussant chemin, elle longea l’abbaye et se dirigea vers la grotte Notre Dame de Paimpont. Cette rencontre avait sérieusement entamé son désir de romantisme. Le décor environnant semblait s’être imprégné des ondes hostiles qu’elle avait ressenties. Le soleil venait de disparaître, emportant avec lui les belles couleurs de l’automne. Dans l’eau, les reflets des arbres devenaient noirs, la fraîcheur du soir s’installait.

Son retour un peu précipité dans sa chambre la laissa sans voix. Sa valise qu’elle avait laissée à peine déballée, vomissait la presque totalité de son contenu sur le tapis, son cartable avait été fouillé. Pourtant l’ordinateur était toujours là et il lui semblait qu’il était le seul objet digne d’intérêt pour un voleur. Rien n’avait donc été dérobé. Que cherchait-on ? Exceptionnellement, elle se réjouit de sa manie si contemporaine d’emporter partout son téléphone chéri.

Comment faire comprendre au patron du bar que sa chambre avait été fouillée ? Evidemment, il s’offusqua : Il n’y avait pas de voleurs à Paimpont ! Il était le seul avec la femme de ménage à posséder une clé et celle-ci avait fait la chambre le matin avant l’arrivée de la cliente.

-Vous n’allez tout de même pas appeler les flics ici ?

Après réflexion, elle renonça à appeler la police. Pourtant, avec la nuit, son malaise ne fit que s’aggraver et ses questions restaient sans réponses. Cette petite ville était charmante mais décidément peu accueillante ! 

 

 

 

3

 

 

Le lendemain matin, Madame A continua son récit et lui montra les photos de son enfance, de sa jeunesse. Elle adorait ces vieilles photos sépia ou noir et blanc et constata encore une fois que, quelque soit le milieu social, la mode vestimentaire était plus soignée qu’actuellement. Même les socquettes portées pendant la guerre donnaient aux femmes une allure un peu ingénue.

- Je vais les emporter chez moi pour les scanner et les insérer dans la biographie. Au fait, votre petite ville n’est pas si tranquille que ça ! Ma valise a été fouillée dans ma chambre hier soir. Vous connaissez le patron de ce bar ? 

La vieille dame ne cacha pas sa surprise mais son visage prit très vite une expression plus grave.

- Oui, je le connais, bien sûr… C’est curieux…Que pouvait-on chercher ?

-  Cela ne vous concerne pas, bien sûr et n’a aucun rapport avec vos mémoires.

- Peut-être bien que si. Je voudrais vous amener dans un endroit où vous trouverez peut-être une explication à l’intérêt que l’on porte à ma biographie, dit-elle après un long moment d’hésitation. Elle ajouta, les yeux, soudain plus brillants.

- Avez-vous visité la chapelle de Tréhorenteuc ? Revenez me chercher cet après-midi, nous irons la voir. Cette chapelle vous racontera un épisode de mon passé dont j’hésitais à parler.

 

 

 

4

https://static.blog4ever.com/2010/05/409639/artfichier_409639_4685780_201503243936711.jpg

« La porte est en dedans » Cette formule inscrite au dessus de la porte la fit sourire et lui rappela le fameux « Terribilis est locus ist » (ce lieu est terrible) au dessus de l’entrée de l’église de l’abbé Saunière à Rennes le Château. Certains curés aiment rappeler au visiteur combien la religion est un mystère et l’effet était réussi au vu de son soudain besoin de recueillement. L’intérieur était en effet assez étrange. En matière de déchiffrage de symboles, un de ses hobbys préférés, elle allait pouvoir se régaler !

La tradition chrétienne y était bien présente avec son autel et son chemin de croix mais sa première impression fut d’être entrée dans un lieu de légendes. Sur un vitrail, le Saint Graal porté par des anges apparaissait aux chevaliers réunis autour du roi Arthur. Au centre du tableau, qui trônait au dessus de l’autel, la Table ronde remplaçait les habituelles représentations de la Cène. Autour d’elle, les chevaliers avaient pris la place des apôtres. A gauche de l’entrée, une grande mosaïque reproduisait un immense cerf blanc entouré de quatre lions et portant une croix autour du cou.

Madame A la laissa admirer et s’étonner, répondant clairement à chacune de ses questions 

- Le cerf blanc était apparu à Lancelot et à Genièvre. Ici, il s’agit de Jésus bien sur. La scène est située dans la forêt de Paimpont auprès de la fontaine de Barenton et du tombeau de Merlin.

- Oui, les quatre lions représentent les quatre évangélistes. Dans le roman du Graal, trois se sont métamorphosés en un grand jeune homme ailé, un aigle et un taureau, Matthieu, Jean, Luc, le lion restant étant le symbole de Marc.

- Ce nombre 1,618 qui est gravé sur le linteau, est le nombre sacré de l’art des bâtisseurs. Tout établissement construit d’après ce nombre d’or jouissait de la réputation d’être le refuge de l’harmonie, de la beauté. C’est le cas de cette église

https://static.blog4ever.com/2010/05/409639/artfichier_409639_4685783_201503244155100.gif

 

Déjà essoufflée, Madame A s’installa sur un banc et lui fait signe de s’assoir à ses côtés.

- C’est l’abbé Gillard qui a conçu la restauration de cette église. En 1945, quelques mois après la fin de la guerre, il est allé à Rennes rencontrer les autorités françaises chargées de la garde des prisonniers de guerre allemands. Deux prisonniers ont accepté de travailler à son service, l'ébéniste Peter et le peintre Mark. Les deux artistes ont travaillé dans cette chapelle jusqu’en mars 1947. L’abbé a financé les travaux avec ses propres deniers et les paroissiens lui ont fait des dons. Mes parents ont donné beaucoup.

Vous ne vous êtes pas beaucoup attardée devant les quatorze stations du chemin de croix. Douze d’entre elles ont pour décor, les lieux de légende de Brocéliande. Retournez observer plus attentivement les stations deux et quatre. Le menuisier est représenté dans sa profession et le peintre, sous les traits d’un soldat romain. Vous retrouverez aussi Mark à la station quatorze. Il a dessiné un bidon de soldat qui représente sa condition. Regardez aussi la station neuf. »

Elle retrouva en effet très facilement les personnages qui représentaient les artistes et resta interdite devant la station neuf où le Christ s’immobilisait devant une belle jeune femme vêtue d’une robe rouge transparente et provocante, la tentation incarnée. Le visage de la femme ne lui était pas inconnu.

- Cette femme est-elle Marie Madeleine ? demanda-t-elle à la vieille dame qui l’avait rejointe.

- Ici, il s’agit de Morgane qui retenait les chevaliers infidèles dans le Val sans retour. Vous retrouvez ici les rochers très reconnaissables du Val .

 

- C’est incroyable comme elle ressemble à un portrait de vous que vous m’avez montré ce matin !https://static.blog4ever.com/2010/05/409639/artfichier_409639_4685821_2015032446162.jpg

La vieille dame sourit doucement et murmura « Oui, c’est bien moi. »

Devant son regard interrogateur, elle ajouta :

- Venez, je suis fatiguée, je veux rentrer. Je vous raconterai dans la voiture. »

Une fois installée, Mme A entama son récit :

- Il fallait bien les héberger ces Allemands pendant la période où ils restauraient l’église…

- Attendez, permettez-vous que j’enregistre ?

- Oui, enregistrez, cela doit figurer dans ma biographie. Je ne veux plus garder ce secret…Un secret de polichinelle ici, de toute façon. Il est fort possible que celui qui a visité votre chambre hier s’inquiète de ce que j’ai bien pu raconter dans votre appareil et que vous écrirez. Je vais bientôt disparaitre. Je ne veux pas que mon histoire soit dénaturée par de mauvais ragots.

Le peintre a été logé chez mes parents pendant toute la période où il a travaillé dans la chapelle. Il était très courtois et très beau. J’avais  dix sept ans et j’étais jolie, vous savez.

- Oui, j’ai vu les photos. Aussi belle que Morgane !

- Pourtant ce n’est pas lui qui m’a séduite. Je suis vite devenue amoureuse, très amoureuse ! Pendant longtemps nous n’avons fait que nous effleurer puis nous nous sommes aimés. Nous prenions notre vélo séparément et nous nous retrouvions à l’Hotié de Viviane. Je ne vivais plus que pour ces moments volés et défendus, ces moments d’amour fou.

- Il vous aimait aussi certainement, si on en croit le tableau du chemin de croix.

- L’abbé a eu de gros problèmes avec ce tableau. Certains même ont écrit qu’à Tréhorenteuc, on avait représenté une pin-up dans un chemin de croix ! Le pauvre curé a dû quitter la région. Je crois que Mark m’aimait sincèrement en effet mais il lui a fallu retourner en Allemagne. Il est parti sans savoir.

Notre enfant m’a été enlevé à la naissance et a été déclaré « né de parents dénommés ». J’ai seulement eu la permission de choisir le prénom de ma fille, Louise. J’étais la honte de la famille. On ne m’a pas tondue parce que Mark était très apprécié comme peintre de la chapelle. Il avait travaillé bénévolement.

- Qu’est devenu cet enfant ?

-  J’ai épousé André qui avait quinze ans de plus que moi et m’acceptait malgré ma faute. Nous avons eu un fils. On m’a convaincue d’oublier. Je me suis appliquée à rejeter Mark et cet enfant dans le noir absolu. En se concentrant sur les tâches quotidiennes, on réussit vous savez. On oublie le visage, la voix, les mains, on oublie même un peu la douleur mais on n’oublie jamais complètement l’amour. S’il m’a écrit, on ne m’a jamais donné ses lettres.

Pourtant, il y a deux ans, j’ai entrepris de retrouver sa trace. On m’a orientée vers le service d’adoption et ma détermination les a amenés à me laisser consulter son dossier. Le nom de la sage-femme qui m’a accouché y est noté. Louise a été déposée à l’hospice le jour même. Des détails physiques, les vêtements portés sont aussi précisés ainsi que des contrats de placement dans différentes fermes aux alentours de Rennes. Si j’avais su qu’il était possible d’avoir ces documents, j’aurais fait la démarche plus tôt.

- Elle aurait donc droit à sa part d’héritage…

- Oui et je veux qu’elle sache combien ses parents se sont aimés, tellement aimés !»

Silencieuse, elle concentra son regard sur la route pour permettre à la vieille dame de laisser couler ses larmes.

 

 

 

5

 

 

Après avoir déposé Madame A, elle regagna son gîte toute bouleversée. La rue du Général De Gaulle lui parut aussi triste que cette histoire qui venait de lui être confiée. La grande effigie de Merlin se voulait toujours pimpante mais sa magie s’était estompée et la référence au Général lui sembla moins saugrenue. La guerre était passée par là. Elle se hâta de regagner son gîte, supportant difficilement le bruit de ses talons sur les pavés et ne le vit pas venir. Il arriva derrière elle, la bouscula et lui arracha violemment son sac. Malgré l’effet de surprise, la rage et la peur l’aidèrent à se relever rapidement. Pourtant c’est en vain qu’elle courut à sa poursuite, il disparaissait déjà au carrefour. Elle appela au secours mais aucun volet ne s’ouvrit malgré la clameur de ses cris renvoyés par les murs de la rue désespérément vide.

Affalée sur son lit, abasourdie, elle récapitula mentalement toute cette histoire. Son sac contenait peu d’argent. Il fallait se rendre à l’évidence, l’iphone et son enregistrement  pouvaient avoir un intérêt pour qui attachait de l’importance aux paroles de la vieille dame. C’était lui que le visiteur de sa chambre recherchait la veille. Certains documents auraient pu aussi s’y trouver, qui prouvaient la filiation de Louise. Il était facile de deviner qui allait s’avérer lésé par cette nouvelle situation familiale. Elle se félicita d’avoir refusé d’emporter le dossier, alléguant qu’il n’entrait pas dans son rôle de faire valoir ces preuves. Sa cliente devait les déposer chez le notaire et cela, au plus vite. Soudain assaillie de visions de ces films policiers où une vieille dame se fait agresser par un visiteur nocturne, elle se précipita pour la prévenir, prête à rester dormir chez elle. Elle sourit en réalisant que son voleur ne connaissait pas les nouvelles technologies. Son enregistrement serait facile à récupérer sur un ordinateur. Son compte Icloud aurait tout sauvegardé dans ce monde immatériel d’internet!

 

https://static.blog4ever.com/2010/05/409639/artfichier_409639_4685898_201503240700514.jpg

 

 

 carte paimpont.jpg

 

 Tréhorenteuc/Brocéliande/Terribilis locus ist/Marie-Madeleine/ Paimpont

 

comment me contacter 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



09/08/2019
3 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 31 autres membres