Biographies-Toute vie peut devenir un roman

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Retour d'Egypte. Impressions de voyage.

Le grand bonheur était de se faufiler derrière l'allée marchande du temple d'Hachepsout pour grimper la montagne désertique et dévaler l'autre versant qui mène aux tombes de la Vallée des Rois. Il avait fallu quelques essais infructueux avant de découvrir ce passage que nous étions rares à emprunter. Nous étions les héros des délicieux romans d'Elisabeth Peters, le couple Peabody et Emerson, deux archeologues si aventureux et "so british"!

A chaque fois le soleil, une nouvelle tombe à visiter et la possibilité de reviser nos connaissances encore précaires de la mythologie égyptienne. A chaque fois l'occasion de s'émerveiller devant la distinction des personnages représentés, de chercher à reconnaître les différents Dieux, leurs différents symboles, deviner le message transmis.

A travers ces bandes dessinées on perçoit toute une spiritualité qui s'est appliquée à trouver des réponses aux principales questions métaphysiques que se sont posées les êtres humains dès qu'ils ont pris conscience de leur état de mortels.

 

Alors la magie entre en jeu tandis que les musées et les livres ne font que nous interpeller.

Pour le retour, négocier un taxi ou bien se glisser dans le taxi collectif au milieu des gallabiehs.

Dîner dans la tiédeur du soir sur la terrasse de la location en admirant la rive Est toute illuminée par les temples, les hôtels, les bateaux tandis que le ferry effectue ses derniers voyages pour traverser le fleuve, les motoboats appellent les clients, les felouques paressent en attendant le vent.

Marchander au souk en sachant bien que même s'il est habile au point de diviser le prix demandé par deux ou trois, le touriste doit toujours laisser le dernier mot au vendeur pour ménager l'orgueil égyptien. Tout marchandage devant se terminer dans la bonne humeur, chacun ayant l'impression d'avoir fait une affaire.

Tout cela c'était AVANT.

Nous savions bien que la ville du Caire avait fait sa révolution, que Moubarak avait été jugé (de manière indigne d'ailleurs), que des journalistes avaient été violées sur la place Tahrir mais nous avions follement envie de revoir les rives du Nil et ses temples.

En riant on répliquait aux mises en garde "Nous nous réfugierons sur le bateau!".

Et nous ne croyions pas si bien dire. Il fallut se réfugier sur le bateau parce que, nous dit Achraf notre guide, depuis le 25 janvier 2011, tout a changé.

Accoster dans le centre de Louxor était bien pratique pour les touristes qui pouvaient, après les visites, s'éparpiller dans la ville animée.

La première déception fut de nous voir parqués à vingt kilomètres du centre, sous la protection de l'armée avec pour consigne: "ne pas s'aventurer seuls au milieu de la population".

Du haut de nos bus protégés, nous étions consternés à la vue de toutes les calèches délaissées, des rues vides de toute présence européenne.

Seuls pouvaient espérer vendre quelque chose, les commerçants qui nous attendaient à la porte des temples. Ils se ruaient sur nous, nous harcelant au point de nous empêcher de regarder, d'avancer. Insupportables!

Le guide les laissait faire, ceux là, sachant bien que nous représentions leur seul gagne pain.

Nous avons pu échapper un matin à sa surveillance pour nous hasarder dans le souk d'Assouan. Nous étions les seuls acheteurs potentiels. Notre chauffeur de taxi n'a pas voulu nous laisser seuls, portant nos rares achats, de crainte de perdre les seuls clients de sa journée.

Bakchich, bakchich..Ce n'est plus un touriste, c'est une machine à sous. La tension monte.

Les Français commencent à en avoir assez. Les Egyptiens s'énervent et il leur arrive de menacer.

La veille, à Edfou, une jeune touriste pourtant accompagnée a été victime d'une tentative de viol.

Nous étions réticents à croire le guide et pourtant nous avons commencé à nous inquiéter. Même l'extrême politesse feinte du lendemain nous semblait susceptible de dégénérer en agressivité.

Les rumeurs circulent. Dimanche le candidat président des militaires aurait gagné mais aurait cédé à la pression des islamistes qui menaçaient de provoquer des émeutes et de mettre le feu aux frontières. Dix sept parmi les plus grands entrepreneurs du pays auraient quitté l'Egypte le jour même. Mardi on nous apprend que les islamistes auraient distribué trois cent livres à chaque électeur contre un vote en faveur de leur candidat. Mercredi des journalistes auraient encore été violées au Caire. Jeudi le nouveau président annonce qu'il ne laissera pas le militaires intervenir dans ses décisions et qu'il faudra fixer des règles plus strictes pour le tourisme.

En effet, la loi égyptienne, issue de l'Islam, interdit à un couple non marié de partager la même chambre. Dans notre groupe, trois sont dans le cas et n'ont pas les moyens de s'offrir le supplément chambre individuelle. L'application stricte de cette loi éliminerait beaucoup d'Européens. Quant à moi, je jure de ne jamais accepter l'humiliation du port du voile quel que soit mon amour des vieilles pierres!

Qu'à cela ne tienne répliquent les islamistes, nous nous adresserons à une clientèle arabe beaucoup plus riche et qui s'adaptera à nos lois.

En effet, au milieu des taudis, des hôtels luxueux fleurissent sur les bords du Nil mais le nouveau Winter Palace à Assouan est une vraie laideur en comparaison avec l'ancien.

 

 

Les professionnels du tourisme savent que cette clientèle arabe fortunée ne s'intéresse guère à la mythologie égyptienne et ce sont les temples et les tombes qui font le charme du pays.

C'est l'archéologue Christiane Desroches Noblecourt qui a alerté l'Unesco lorsqu'elle a appris le projet de barrage de Nasser pour sauver de la noyade programmée les magnifique temples d'Abou Simbel et de Philae. Ce fut une entreprise de sauvetage gigantesque effectuée par les Européens et les Américains et qui rapporte à présent une fortune à l'Egypte.

Pourtant Nasser, le laïque, se moquait complétement de ces vieilles constructions datant de plus de trois mille ans. Les musulmans qui ont réussi à s'imposer sont encore plus menaçants:

Selon plusieurs rapports dans les médias arabes, d’éminents dignitaires religieux musulmans ont commencé à appeler à la démolition des grandes pyramides d’Egypte, ces « symboles du paganisme », selon les mots du cheikh saoudien Ali bin Said al-Rabi’i, que le parti salafiste d’Égypte envisage depuis longtemps de recouvrir de cire.

En décembre dernier, les manifestants ont mis le feu à l'Institut d'Egypte au Caire. La bibliothèque contenait des milliers de documents précieux qui ont alors été détruits. Parmi les pertes conséquentes, 8 volumes de la première édition de la Description de l’Égypte. L’ouvrage, publié au début du XIXe siècle, recense les découvertes scientifiques de la Commission des sciences et des arts, créée par Napoléon Bonaparte lors de la campagne d’Égypte.

Ce pays qui importe plus de 90% des produits qu'il consomme a pourtant bien besoin de ces témoignages d'un passé aussi lointain que magnifique.

Bakchich, bakchich..... Nous avons repris l'avion exaspérés de ce sans gêne à montrer que nous n'étions vraiment que des tiroirs caisses.

Nous nous sommes félicités d'être venus avant la catastrophe.

 

J'imagine aujourd'hui les temples imperturbables, ceux que Nasser n'a pas noyés, avec leurs monumentales statues dans la position osiriaque, les bras croisés sur la poitrine, prêtes à affronter la mort et à renaître.

Je les imagine, noyés dans une marée humaine misérable et bientôt affamée.

 



12/07/2012
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